Des ventes en chute libre, des sous-traitants en faillite et bientôt des fermetures d’usine, l’industrie automobile européenne va mal. Mais en quoi la Chine et la voiture électrique en sont-elles responsables ?

Crise de l’industrie automobile, la faute à la Chine et à la voiture électrique ?

L’offensive de l’industrie automobile chinoise n’a pas encore débuté que souffle déjà le vent du marasme chez les constructeurs « historiques », adjectif dont on se demande s’il désigne désormais un passé révolu.

De fait, le cumul des nouvelles brosse un tableau de déroute.
Volkswagen annonce la fermeture de trois de ses usines allemandes – une première depuis 1945 – et veut abaisser les salaires de 10 %. Stellantis doit brader ses stocks d’invendus aux États-Unis et, en Europe, ses concessionnaires sont à la peine. Porsche va fermer une trentaine de concessions en Chine, pays où BMW, Audi, Mercedes – et bien sûr VW – voient également leurs ventes dégringoler, grignotées, notamment dans l’électrique, par les constructeurs locaux.

Dans cette déconfiture industrielle, seuls Tesla et Kia-Hyyndaï surnagent, tout comme Renault dont les ventes se tiennent honorablement et qui vient même de s’offrir le luxe d’un drôle d’investissement, l’ouverture d’un bureau d’études en Chine afin d’y apprendre à concevoir plus vite et produire moins cher.

Même le n°1 mondial, Toyota souffre : sa production et ses résultats diminuent pour la première fois depuis des lustres, hors années Covid.

Avant la vague de licenciements que va inévitablement provoquer la surcapacité de plus en plus flagrante des usines européennes, les effets sur l’emploi, se font déjà massivement sentir chez les équipementiers. En France, on ne compte plus les entreprises en difficulté. De la petite fonderie à la grosse entreprise d’emboutissage, faillites et plans sociaux se multiplient. Et à l’échelle européenne, entre 2020 et 2023, les sous-traitants des constructeurs ont, selon le Clepa qui les représente, perdu 86 000 emplois. Et déjà 32 000 depuis le début de 2024…

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La faute aux Chinois ?

Je ne pense pas que les quelques dizaines de milliers de MG ou Aiways vendues ces deux ou trois dernières années en Europe aient pu avoir cet effet-là : ce sont deux millions d’immatriculations européennes qui manquent dans les Powerpoints des constructeurs, soit la production de dix à quinze usines !

Alors, anticipation de l’offensive chinoise ? Pas d’avantage.

Cette bérézina, les constructeurs en sont en très grande partie responsables, chacun à sa manière.

Au premier rang, Volkswagen par qui tout est arrivé. Le diesel gate qu’il a déclenché en 2015 par ses bidouillages et menteries afférentes est à l’origine de tout ce qui se passe (mal) actuellement : perte totale de crédit de la parole des constructeurs dont a résulté, urgence écologique aidant, la conversion forcée par l’Europe à la voiture électrique.

Et précisément, sa déveine actuelle, VW la doit à l’échec relatif de ses ID, pour lesquelles il aura investi les dizaines de milliards qui ont manqué au plan produit de ses thermiques, en manque criant de renouvellement.

En fait, là où la Chine est pour quelque chose dans les difficultés de VW, c’est pour y avoir trop massivement investi – et encore des milliards tout récemment – et s’être rendu totalement dépendant du marché et des usines locales qui ont pesé jusqu’à la moitié des bénéfices et peinent désormais à écouler leur production.

Contrairement à GM qui a diagnostiqué l’impasse que constitue désormais l’empire du milieu, VW (comme BMW et Mercedes) s’acharne à y remonter une pente glissante, quitte à y sacrifier des usines européennes. On ne renonce pas facilement à ce qui fut un Eldorado et est en passe de devenir un enfer commercial et industriel.

Le client chinois préfère désormais acheter… chinois : peut-on le lui reprocher ?

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Une ingénierie délocalisée et mercenarisée

Chez Stellantis, une bien occidentale goinfrerie est en cause. Où sont passés les colossaux bénéfices réalisés dans l’après Covid, quand la pénurie de l’offre avait permis cette monstruosité économique qu’est le pricing power, le pouvoir de dicter – et donc d’augmenter – les tarifs ? Partis en dividendes et en bonus dont le boss Carlos Tavares aura bien pris sa part. Et cela ne date pas de Stellantis : chez PSA et depuis 2015, la quasi-totalité des profits de PSA servait l’actionnaire.

Ce « pognon de dingue » aura manqué à renouveler la gamme américaine, aujourd’hui si vieillissante qu’il faut la brader.

Cette obsession du résultat à deux chiffres avant la virgule a également motivé la véritable saignée qu’a subi l’ingénierie américaine, française et européenne, massivement délocalisée et « mercenarisée » en Inde et autres pays émergents où les salaires sont trois à quatre fois inférieurs.

Résultat, les wattures chinoises n’ont pas encore vraiment débarqué que pour y faire face, Stellantis compte sur des modèles électriques peu convaincants faute de plateformes dédiées – le 3008 pèse 2,2 tonnes et coûte autant. Aussi ennuyeux, dans un marché qui reste à plus de 80 % thermique, il n’a pas de véritable hybride à son catalogue européen, juste du « mild » en 48 V et du rechargeable hors de prix. Et ses thermiques souffrent du scandale des casses de moteurs Puretech, une affaire gérée à bas coût, devenue un véritable remède contre la vente, ce sont les concessionnaires qui le disent.

Comme jadis chez Renault, et notre Carlos aurait dû l’apprendre de l’autre Carlos, le low cost et ses petites économies peuvent coûter infiniment plus cher à long terme qu’il ne rapporte à court terme.

Là encore, la Chine n’y est pour rien.

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L’électrique grande responsable ?

Si ce n’est pas la faute des Chinois, est-ce celle de la voiture électrique promue et imposée par les pouvoirs publics ? Une voiture qui, comme ne cessent de le répéter les médias, nécessite bien moins de pièces et d’heures de main-d’œuvre.

Là encore, c’est un peu court pour expliquer le premier effet social visible de la naissante crise de l’automobile européenne : l’énorme panade des sous-traitants.

D’abord, la voiture électrique est encore ultra-minoritaire sur les chaînes de montage et c’est avant tout la mévente des voitures thermiques qui est responsable de l’effondrement des carnets de commandes chez les fournisseurs.

Cette mévente qui n’est pas seulement celle des électriques doit autant à la réduction du pouvoir d’achat consécutive à la grande inflation alimentaire et énergétique de 2022-2023 qu’aux tarifs devenus hallucinants de nos voitures, en hausse de 40 à 50 % depuis dix ans. En gonflant leurs marges et en montant en gamme, les constructeurs ont à moitié tué le marché, c’est un fait.

L’autre vérité est que malgré les affirmations présidentielles et gouvernementales, l’industrie française et tout particulièrement l’automobile, continue à délocaliser ses approvisionnements, très majoritairement en Asie et pas seulement en Chine. Et pas uniquement pour les VE : de la bâche de carter d’huile à l’alternateur en passant par les systèmes d’injection ou de dépollution, les pièces de nos moteurs thermiques viennent de plus en plus loin.

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Un bref répit

Bref, s’il faut accuser la Chine de quelque chose, c’est d’opprimer ses minorités, de coloniser le Tibet, de fliquer sa population, de réprimer toute opinion divergente, en somme d’être une dictature. Et plus récemment, de supporter indéfectiblement la Russie de Vladimir Poutine, agresseur de l’Ukraine et ennemi déclaré de l’occident.

Pour ce qui est de ruiner notre industrie automobile, nous nous en chargeons très bien nous-même, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne nous aideraient pas volontiers à finir le boulot.

En attendant, les droits de douane de l’Europe sur les importations de wattures chinoises offrent un répit à nos constructeurs. Un bref mais double répit : en réaction aux nouvelles taxes, le gouvernement chinois a ordonné à ses industriels de suspendre toute implantation industrielle sur le vieux continent, des implantations qui visaient justement à contourner ces droits de douane. Mais qui risqueraient d’accroître encore les surcapacités industrielles dont souffrent l’Europe… et la Chine.

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